Le
Portrait :"ritratto"
Qu'est-ce qu'un portrait?
Nous
nous attacherons à répondre à cette question en partant de la compréhension du
mot "Portrait" en Italien: "ritratto" qui signifie
étymologiquement "ritrarre" soit retirer, extraire.
Le ritratto est le résultat d'une opération
qui engage le regard et la perspicacité de l'observateur ; cette opération fait
apparaître ce qui n'est pas manifeste, synthétise les éléments observés, et ce
qu'on retire de l'observation
Dans ses usages diplomatiques, le mot
ritratto désigne la quintessence de ce que l'œil attentif peut capter : c'est
précisément ce que les grands auteurs de portraits, tels que Titien ou
Tintoret, réussiront à faire sous leurs pinceaux, en soumettant à
l'intelligence de leurs spectateurs une image déjà élaborée par leur regard
perspicace, et non simplement une reproduction passive de la réalité.
Nous essayerons d'abord d'expliciter ce qui peut
être retiré d'un portrait, nous examinerons ensuite en quoi le portrait est-il
un idéal inaccessible, enfin, nous nous pencherons sur le résultat, que reste
t-il à la fin?
"Ritratto", retirer, extraire,
extraire quoi?
Quand
on aborde le genre du portrait à travers cette notion de retrait, on ne peut
s'empêcher de penser à l'imago. L'imago
latin désigne ce masque mortuaire que les familles patriciennes portaient en
procession dans les rues avant de l'installer dans l'atrium, au foyer des
ancêtres. Image indicielle, posée sur le visage du défunt puis retirée, née du
contact direct avec son référent, image native, image pure.
Si
le portrait est un genre qui recherche la représentation ressemblante d’une
personne, cette définition consensuelle ne résiste guère à l’examen. La beauté
d’une œuvre, la réussite d’un portrait ne sont pas dans la ressemblance mais
dans « un surcroît », comme l’explique par exemple Paul Ricoeur. Elles ne
tiennent, précise le philosophe, « ni à la qualité de [la] représentation, ni
au fait que c’était ressemblant à un modèle, ni à leur conformité à des règles prétendues
universelles, mais à un surcroît par rapport à toute représentation et à
toute règle[1]
».
Comment
définir ce surcroît? Une chose fragile, impalpable, précieuse, rare, une chose
qui peut parfois surgir comme un coup de poing et venir frapper le spectateur
avec la force d'une Révélation. On s'approche de ce que Roland Barthes a appelé
le punctum ou de ce que Walter
Benjamin cible sur le portrait de la
marchande de poisson de Newheaven (fig.
1, )
Le portrait est-il possible?
Le deuxième
commandement dit:" Tu ne feras pas d'idole ni de représentation de ce qui
ce trouve en haut dans le ciel [...] ". Si l'on considère que l'homme
aurait été fait à l'image de dieu. Dans ce contexte, on pourrait considérer
que le débat entre iconophiles et
iconoclastes concerne également la représentation de l'homme.
Or,
il ne suffit pas de décider de violer ce commandement pour atteindre une sorte
de transcendante perfection.
Le
portrait est toujours parcellaire, le Voir dans sa totalité reviendrait à voir
l'image de dieu, l'image ultime, mortelle.
De
plus, le photographié dans son paraître n’est redevable qu’à la pure photogénie.
La photographie, par son effacement de la manipulation humaine, possède un
pouvoir photogénique permettant aux êtres et aux choses « d’illuminer leur
propre manifestation »[2]
. La photographie, de par sa nature donne au référent une réalité qui va
au-delà de l'objet lui même. A la différence du simple "Ca-a-été",
pour Pontremoli "C’est (la photographie) un corps glorieux qui s’anime
dans l’encadrement arbitraire du support et s’impose à nos yeux "
C'est là que réside « l’excès du visible » .
Or ce dernier étouffe, tue l'image dans l'œuf, on ne voit généralement que ce
qui est représenté sans chercher cet au-delà du référent.
"Ceci n'est pas
une pipe"
L'artiste
qui entreprend la démarche, un peu masochiste ou narcissique de s'exprimer dans
le portrait doit faire un travail de
deuil. Le combat est perdu d'avance. Il ne pourra saisir le modèle mais juste
un peu de lui même.
Il
n'existe pas de portrait, seulement des autoportraits.
Que reste t'il?
Lors de la réalisation d'un
portrait, le créateur doit composer avec de nombreux paramètres: l'apparence
que veut bien se donner son modèle, la nature de leur relation, les contraintes
techniques et matérielles... On peut ajouter à cela l'hypothèse que l'artiste
disposant de quelque talent aura à cœur de proposer son interprétation, sa
perception, sa subjectivité de la rencontre. Que subsistera t' il à la fin?
Pour Richard Avedon: "Un
portrait photographique est une image de quelqu'un qui sait qu'il est en train
d'être photographié." L'artiste précise: "Tout ce que vous avez c'est
la surface."
Il subsiste une surface, Gilles
Deleuze définit celle-ci comme: " [...] un visage: système mur blanc-trou
noir."[3]
Il ajoute: " Le visage construit le mur dont le signifiant
a besoin pour rebondir, il constitue le mur du signifiant, le cadre ou l’écran.
Le visage [...] constitue le trou noir de la subjectivité comme conscience ou
passion. "[4]
Autrement dit, il n’existe pas d’essence séparée de l’homme, que le visage
serait censé représenter.
Conclusion
Le
portrait est un genre, une représentation de l'homme organisée autour du
visage, lui même gravitant autour du regard en une heureuse polysémie ou le sens (signification) s'accomplit dans les sens.
Leonard,
Titien, Tintoret, Goya, Van Eyck, Van der Weyden, Petrus Christus, mais aussi
Cameron, Avedon, Horsfield, Arbus, Lüthi, Breukel... et tant d'autres inconnus
... Oui parfois quelque chose se produit.
Fig.1
Marchande
de poisson de Newhaven , Hill & Adamson
[1] Paul Ricoeur, La
critique et la conviction. Entretien avec François Azouvi et Marc
de
Launay, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 271
[2] Edouard Pontremoli, L'excès
du visible - Une approche phénoménologique de la photogénie, Paris,
Million
[3] Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Editions de Minuit, 1980, p 205
[4] Ibidem, p
206
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